DEPAKINE : LA RESPONSABILITE FAUTIVE DE L'ETAT RECONNUE PAR LE JUGE ADMINISTRATIF
Le Tribunal administratif de Montreuil était saisi de requêtes présentées par des femmes ayant suivi un traitement antiépileptique durant leurs grossesses, menées entre 1981 et 2008, à base de valproate de sodium, principe actif commercialisé aujourd’hui par Sanofi sous le nom de Dépakine.
Les parties soutenaient que l’insuffisance de l’information donnée aux praticiens et aux malades sur la dangerosité de ces médicaments lorsqu’ils sont donnés aux femmes enceintes traduit une absence de contrôle suffisant de l’Etat et, par suite, une carence dans l’exercice de son pouvoir de police sanitaire.
Le tribunal a d’abord estimé que les anomalies morphologiques faciales, squelettiques et des extrémités, les malformations, les troubles cognitifs et ou comportementaux et les atteintes organiques variables devaient être présumés imputables à l’exposition in utero au valproate de sodium lorsque ces anomalies ne sont imputables à aucune autre cause.
Ceci posé, il a rappelé que les dispositions de l'article L. 1142-24-12 du code de santé publique, instaurant dans cette hypothèse une présomption d'imputabilité des malformations "à un manque d'information de la mère sur les effets indésirables du valproate de sodium ou de l'un de ses dérivés lorsqu'il a été prescrit à compter du 1er janvier 1982", n'était opposable qu'"au collège d'expert se prononçant sur l’imputabilité des dommages à l’exposition au valproate de sodium ou de l’un de ses dérivés dans le cadre de la procédure amiable d’indemnisation des victimes et n’a donc pas d’incidence sur l’appréciation faite par le juge, saisi d’une action en responsabilité fondée sur d’éventuels manquements de l’Etat dans l’exercice de ses pouvoirs de police sanitaire".
Pour apprécier l’existence d’une carence fautive de l’Etat, ou des autorités agissant en son nom, dans l’exercice des pouvoirs de police sanitaire relative aux médicaments, le tribunal a examiné successivement trois questions :
- Quel était à la date de naissance de chacun des enfants, l’état des connaissances médicales quant au lien entre le valproate de sodium et les malformations ou les troubles neuro-développementaux des nouveaux nés exposés in utero à ce médicament durant la grossesse ?
- Dès lors que des risques avaient été identifiés, une information suffisante était-elle donnée sur ces deux types de risques identifiés, tant dans le résumé des caractéristiques du produit destiné aux praticiens, que dans les notices elles-mêmes à destination des femmes malades ?
- Dès lors qu'une faute de l'Etat était constaté, les faits du producteur du médicament – qui a la charge d’élaborer le résumé et la notice- et du médecin prescripteur du médicament était-il de nature à l'exonérer partiellement de sa responsabilité ?
En ce qui concerne la première question, le juge administratif a relevé qu’en 1981, il n’existait pas d’étude suffisante pour établir un tel lien. En 1984 et 1985, seuls les risques de malformations étaient suffisamment documentés pour alerter la vigilance des autorités sanitaires. En revanche, concernant les grossesses intervenues entre 2005 et 2008, les deux risques - malformations et troubles neuro-développementaux- liés au valproate de sodium étaient suffisamment connus.
En ce qui concerne la seconde question, le tribunal a rappelé qu’avant 1986, il n’existait pas d’obligation pour les producteurs de fournir un résumé des caractéristiques des produits à destination des prescripteurs et une notice d’information pour les patients. En revanche, il a jugé que le résumé et la notice de la Dépakine résultant de l’autorisation de mise sur le marché du 2 juillet 2004 ainsi que la notice résultant de l’autorisation de mise sur le marché du 25 janvier 2006 étaient insuffisants au regard de l’obligation d’information en matière de risques liés à la prise de ce médicament.
Le tribunal en a conclu qu’en fonction de la date des grossesses en cause, l’Etat a manqué à ses obligations de contrôle en ne prenant pas les mesures adaptées et a engagé sa responsabilité.
Restait enfin à examiner l'existence de cause d'exonération. Le tribunal a enfin que les faits du producteur du médicament – qui a la charge d’élaborer le résumé et la notice- et du médecin prescripteur du médicament exonéraient partiellement l’Etat de sa responsabilité.
En conséquence, le tribunal a condamné l’Etat à indemniser les victimes, en fonction de la date de naissance de leurs enfants et concernant l’une des victimes, a fait procéder à une expertise complémentaire sur l’imputabilité de certains chefs de préjudices.
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