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DEPAKINE : QUELLE RESPONSABILITE DU LABORATOIRE DU FAIT DE CE MEDICAMENT DEFECTUEUX ?

Le 03 juillet 2020

Trois jugements, rendu le 2 juillet 2020 par le tribunal administratif de Montreuil, ont reconnu la responsabilité fautive de l'Etat du fait des lourds handicap affectant des enfants exposé in utero au valproate de sodium, sur le fondement des carences de la puissance publique dans l'exercice de ses pouvoirs de police sanitaire du médicament.

Le tribunal administratif a estimé que l'Etat avait manqué à son obligation de contrôle en ne prenant pas les mesures adaptées pour s'assurer qu'une information suffisante était prodiguée aux femmes atteinte d'épilepsie et tombant enceinte quant au double risque de malformation et de troubles neuro-développementaux accompagnant l'exposition d'un embryon in utero au valproate de sodium contenu dans la Dépakine. Il a cependant rappelé que l'Etat était partiellement exonéré de sa responsabilité, notamment par les faits du laboratoire  producteur du médicament, chargé en cette qualité d'élaborer le résumé et la notice.

Or c'est précisément sur cette question de la responsabilité du laboratoire producteur de la dépakine qu'a eu à se prononcer la première chambre civile de la Cour de cassation dans un arrêt n° 18-16.537  rendu le 27 novembre 2019 dernier.

Une femme souffrant depuis l'âge de 11 ans d'une épilepsie généralisée, avait été traitée en 2002 à la Dépakine. Il lui avait été en effet conseillé de poursuivre ce traitement accompagné de la prise d'un autre médicament, alors même qu'elle était enceinte.  Le 24 novembre 2002, elle donna naissance à un enfant présentant un syndrome malformatif général, caractérisé, notamment, par des anomalies des membres supérieurs et une microphtalmie. Un collège d'experts désigné en référé déposa le 22 mai 2011 un raport établissant le lien entre la prise de Dépakine durant la grossesse et la malformation de l'enfant .

La famille de l'enfant victime de malformations a alors assigné en responsabilité et indemnisation le laboratoire Sanofi, lequel a, en cause d'appel, assigné en intervention l'Office national d'indemnisation des accidents médicaux, des affections iatrogènes et des infections nosocomiales (ONIAM). La cour d'appel d'Orléans, par un arrêt du 20 novembre 2017, a retenu que l'action de la victime et de sa famille n'était pas prescrite dès lors que l'origine des malformations de l'enfant n'a pu être connue avant le rapport d'expertise du 22 mai 2011 et que le produit de santé est défectueux au sens des dispositions des anciens articles 1386-1 et suivants du code civil (devenus art. 1245 s. depuis l'ord. n° 2016-131, 10 févr. 2016 portant réforme du droit des contrats, du régime général et de la preuve des obligations) en raison de l'absence d'information dans la notice patient des risques de malformation du fœtus induits par la prise de Dépakine durant la grossesse.

La société Sanofi s'est pourvue en cassation contre cet arrêt sur le fondement de huit moyens, dont trois ont retenu l'attention de la Cour de cassation. 

  • La prescription de l'action en responsabilité dans la mesure où les parents de l'enfant victime de malformations avaient eu connaissance du dommage dès la naissance de ce dernier, soit le 5 décembre 2002, trois médecins les ayant informés de la possibilité d'un lien entre ces malformations et la prise de Dépakine ;
  • La conformité de la présentation du produit à la sécurité à laquelle on peut légitimement s'attendre, dès lors que la notice du médicament enjoignait de consulter un médecin en cas de grossesse ou de projet de grossesse et indiquait la nécessité d'une surveillance particulière, que le résumé caractéristique du produit (RCP) mentionnait les risques tératogènes connus et que ces documents avaient été rédigés sous le contrôle de l'Autorité de santé. La société Sanofi ajoutait que les juges du fond, pour apprécier la suffisance et le caractère adapté de l'information, auraient dû prendre en compte les circonstances particulières de prescription de ce médicament. Elle invitait, par ailleurs, la Cour de cassation à renvoyer à la Cour de justice de l'Union européenne des questions préjudicielles quant à la détermination du point de départ du délai de prescription et quant aux modalités d'appréciation du défaut d'information portant sur les risques liés à la prescription du médicament.
  • Le défaut de réponse par le juge d'appel au moyen tiré de la conformité de la présentation du médicament dans les documents d'information, et notamment de la notice, aux règles édictées par l'autorité compétente, cause d'exonération de responsabilité prévue par l'ancien article 1386-11, 5°, du code civil (devenu art. 1245-10 depuis l'ord. n° 2016-131, préc.). La cour d'appel s'était en effet contentée de retenir que la société Sanofi, qui n'établit pas que l'état des connaissances médicales ne permettait pas d'appréhender les risques tératogènes en 2001, ne peut bénéficier d'une exonération de responsabilité sur le fondement de l'article 1386-11, 4°, devenu 1245-10, 4°, du code civil, c'est-à-dire du risque de développement.

La Cour de cassation a rejeté le deux premiers moyens, écartant d'un côté la prescription de l'action et reconnaissant de l'autre la défectuosité de la Dépakine.  

Ce faisant, la Cour de cassation a tout d'abord apporté une précision concernant le point de départ du délai. D'après l'article 1245-16 du code civil, l'action en responsabilité fondée sur la défectuosité d'un produit se prescrit par trois ans, "à compter de la date à laquelle le demandeur a eu ou aurait dû avoir connaissance du dommage, du défaut et de l'identité du producteur". Prenant appui sur l'article 1245-3 du Code civil, lequel définit la défectuosité du produit comme le fait de ne pas offrir "la sécurité à laquelle on peut légitimement s'attendre", la Cour de cassation a considéré que "l'appréciation de la sécurité à laquelle on peut légitimement s'attendre [devait tenir] compte de toutes les circonstances et notamment de la présentation du produit ". Elle en a déduit que "le délai de prescription a couru à l'égard des requérants, à compter de la date à laquelle ils ont su ou auraient dû savoir qu'ils n'avaient pas bénéficié de l'information selon laquelle la Dépakine (...) pouvait produire des effets tératogènes". Pour le juge de cassation, la connaissance du dommage n'emporte pas connaissance du défaut. En l'espèce, il a jugé que ce n'est qu'après le dépôt du rapport d'expertise que les requérants ont disposé des éléments leur permettant d'avoir connaissance du défaut du produit et de son implication dans le dommage. C'est donc à compter de cette date - le 22 mai 2011 - qu'il convenait de faire courir le délai de prescription.

En ce qui concerne la caractérisation du défaut du produit, la Cour de cassation a reconduit en l'espèce la solution d'une jurisprudence constante : Le défaut de mention des effets secondaires indésirables et des risques au sein de la notice du médicament à destination du patient suffit à caractériser la défectuosité du produit, quand bien même les informations dont dispose le corps médical, via la notice qui leur est destinée ou le dictionnaire Vidal, en font état. Ce faisant, le juge de cassation s'est opposé le producteur puisse se libérer de son obligation d'information en enjoignant simplement au patient de prévenir son médecin, lequel serait seul tenu in fine de renseigner sur les risques et effets indésirables du produit, comme le soutenait Sanofi. Le malade doit pouvoir doit pouvoir effectuer lui-même la balance bénéfices/risques en ayant à sa disposition toutes les informations nécessaires et notamment celles relatives à un risque d'une particulière gravité.

En revanche, la Cour de cassation a accueilli le dernier moyen et procédé à la cassation partielle de l'arrêt de la Cour d'Appel d'Orléans. Elle a en effet admis que le juge d'appel n'avait pas répondu au moyen tiré de la cause d'exonération prévue à l'article 1245-10 5° du Code, la conformité de la présentation du médicament dans les documents d'information, et notamment de la notice, aux règles d'ordre législatif et réglementaire, édictées par l'autorité compétente.

De l'appréciation de cette conformité par le juge d'appel de renvoi dépend donc non seulement la faculté pour les victimes d'obtenir une indemnisation de la part de Sanofi, mais également la possibilité pour l'Etat de partager sa responsabilité avec le producteur de médicaments.

Sur ce dernier point, il semble que le Tribunal administratif de Montreuil ait apporté un premier élément de réponse, puisqu'il a jugé qu'"il appartenait au laboratoire de solliciter une modification de l’autorisation de mise sur le marché afin de rendre la notice conforme aux mentions portées sur le résumé des caractéristiques techniques du produit (RCP), conformément aux dispositions des articles et R. 5121-149 du code de la santé publique cité au point 5, et ainsi porter à la connaissance des patientes les risques encourus en cas de poursuite du traitement durant une grossesse. En ne proposant pas une telle modification de la notice, Sanofi Aventis France a commis une faute de nature à exonérer la responsabilité de l’Etat à hauteur de 20%."

Affaire à suivre !!! 

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